samedi 14 juin 2008

L'histoire des 4 premiers siècles après Jésus Christ

Il est bon que les historiens s'intéressent à cette période, car elle est une époque charnière dans notre monde occidental de tradition chrétienne. Très étudiée voilà quelques siècles, cette époque semblait passée de mode. Il aura fallu retrouver des textes apocryphes au XXème pour relancer les études (Mer Morte, Nag Hammadi).

Mais, s'intéresser à l'histoire du christianisme sans être croyant peut mener à un certain nombre de contresens comme on le voit aujourd'hui, dans les travaux des historiens athées.

Un de ces derniers écrivait récemment que cette période (les quatre premiers siècles après Jésus Christ) était composée uniquement de juifs et de païens, mais pas de chrétiens. Historiquement, au travers d'un oeil athée, cette thèse est intellectuellement défendable. Elle ne l'est plus au regard des débats théologiques qui eurent lieu sur l'interprétation du Nouveau Testament et des écrits apocryphes associés.

Comme à chaque grand moment de l'histoire religieuse, divers courants se créent, réfléchissent, inventent leurs interprétations plus ou moins intellectuelles, débattent, se groupent en sectes (au sens premier du terme et non au sens péjoratif actuel). Il y a, à ce moment, une effervescence religieuse qui tente de "digérer" le message de Jésus dans un contexte judaïque assez éloigné du judaïsme des temps anciens. Jésus, le premier, avait des relations difficiles avec les autorités juives de son époque, et on ne peut pas dire que cet état de fait n'ait pas contribué à tendre de manière chronique les relations entre les deux communautés.

Il est donc faux historiquement de considérer que le Nouveau Testament est une prolongation naturelle de l'Ancien pour tous les hommes de ces quatre premiers siècles. Les Pères de l'Eglise nous montrent quelles variations le corpus apocryphe fait autour de doctrines qui seront, un jour, qualifiées d'hérétiques : on y trouve des interprétations purement gnostiques, des visions spirituelles (qui font penser à des branches mystiques), d'autres très matérialistes et d'autres dans lequel le sentiment chrétien s'éveille, en allant vers ce qu'il est devenu plus tard. Dans toutes ces lectures, on ne trouve pas uniquement des "païens" (au sens moderne) et des "juifs" (au sens moderne aussi), mais des gens hésitant ou en recherche, des gens proposant leur vision des textes (parfois proposant aussi des pseudo-textes écrits par eux-mêmes comme prétendus évangiles) et se battant entre eux sur les meilleures interprétations d'un fait qui, quoiqu'il ait probablement été précédé par certains sentiments religieux pré-chrétiens, n'en demeure pas moins, une évolution majeure du judaïsme.

Ainsi, le fait que tous les humains soient concernés par le christianisme et non pas le seul peuple élu, le fait que Dieu ne soit plus uniquement un Dieu vengeur, ou un Législateur, mais un Dieu d'Amour, ces changements sont assez radicaux pour dénoter une vision très différente entre les Evangiles et l'Ancien Testament. Ce point fut d'ailleurs pris pour argument par de nombreuses sectes chrétiennes qui, soit refusèrent la filiation des deux textes (en ne voulant conserver que le Nouveau Testament), soit conclurent que le Dieu de l'Ancien et celui qui du Nouveau n'étaient pas les mêmes (sur fond de panthéon gnostique avec hiérarchie entre les "deux" dieux).

Ainsi, s'il est bien que des historiens prennent complexe ce sujet à bras le corps, il convient de les avertir sur les risques suivants :
- s'il est clair que le terme "chrétien" a peut être un sens différent à l'époque du sens que ce terme a aujourd'hui, il est trop rapide de dire que les chrétiens n'existaient pas avant la fin du quatrième siècle ;
- il faut lire les Pères de l'Eglise pour comprendre le christianisme comme une évolution fondamentale de la vision de Dieu, comme précision et découverte d'une nouvelle forme de monothéisme (les hindous diraient bhakti yoga, le yoga de la dévotion) ;
- il faut lire les Pères de l'Eglise pour comprendre pourquoi certaines doctrines furent qualifiées par la suite d'hérésies (et cette partie est loin d'être simple à comprendre) ; cette époque est indissociable de l'hérésiologie dans la mesure où les grands débats théologiques de cette époque fondent l'Eglise de Rome ;
- il est insuffisant de faire une phénoménologie historique (une historiographie) de cette époque pour en conclure des choses sur le sentiment religieux ; c'est là un vice de forme : la phénoménologie ne voyant que la surface des choses ne peut explorer le sens religieux profond ;
- il est toujours risqué qu'un athée disserte sur ces sujets, car il n'est capable d'imaginer que ce qu'il est, et donc il fait souvent beaucoup de contresens involontaires dans ses interprétations du fait religieux, du fait même que son système de valeurs est différent ;
- il faut prendre certains textes apocryphes avec beaucoup de prudence ; peut-être que comme il a été dit et écrit, la sélection "officielle" des textes pour le Nouveau Testament n'était peut-être pas la meilleure, mais certains textes apocryphes ont beau être de beaux "objets historiques", ils sont totalement ineptes dans un cadre religieux (l'Evangile de Judas, par exemple) ; c'est un peu comme si on tentait de comprendre la religion du XXIème siècle en ne lisant que certains fragments de blogs athées...

Quelle passionnante époque, et donc, que de dangers les historiens doivent-ils affronter. Car quand on parle de religion, on se trouve en face de son propre miroir : les bêtises que l'on écrit, même si elles traitent d'un sujet fort sérieux, ne montrent souvent que la bêtise intrinsèque ou la prétention de leur auteur.